• Chapitre 11 - Interrogations

    Ce fut CNN qui lâcha le scoop.
        J’étais content d’avoir la nouvelle avant de partir pour le lycée, anxieux d’entendre ce que les humains allaient dire à ce sujet, et quelles proportions cela prendrait.
        Heureusement, l’actualité était chargée aujourd’hui. Il y avait eu un tremblement de terre en Amérique latine, et un kidnapping politique au Moyen-Orient. La nouvelle ne prit donc que quelques secondes, quelques phrases, et une bien piètre photo.
        - Alonzo Calderas Wallace, violeur et tueur en série présumé, recherché dans les états du Texas et de l’Oklahoma, a été appréhendé la nuit dernière à Portland, dans l’Oregon, grâce à un témoignage anonyme. Wallace a été retrouvé inconscient, dans une allée, tôt ce matin, à quelques pas du commissariat de police. Les autorités sont pour le moment incapables de dire s'il sera extradé vers Houston ou Oklahoma City pour son procès.
        La photo était floue, une pièce d’identité judiciaire, il avait une épaisse barbe ou moment où elle avait été prise. Même si Bella l’avait vu, elle ne pourrait probablement pas le reconnaître. J'espérai qu’elle ne le reconnaîtrait pas ; cela ne ferait que l’effrayer inutilement.
        - La couverture de cet évènement ici va être très faible. C’est trop loin pour être considéré d'intérêt local, me dit Alice. Tu as eu raison de laisser Carlisle l’emmener en dehors de l’état.
        J'acquiesçai. Bella ne regardait pas beaucoup la télévision de toute façon, et je n’avais jamais vu son père regarder autre chose que des chaînes de sports.
        J’avais fait ce que j’avais pu. Ce monstre ne chassait plus, et je n’étais pas un meurtrier. Pas récemment en tout cas. J’avais eu raison d’avoir confiance en Carlisle, même si j’aurais préféré que ce monstre ne s’en tire pas à si bon compte. Je me surpris à espérer que l’extradition se fasse au Texas, où la peine de mort était si populaire...

        Non. Cela n’avait pas d’importance. J’allais laisser ça derrière moi, et me concentrer sur ce qui importait.
        J’avais quitté la chambre de Bella voilà moins d'une heure. Je mourais déjà d’envie de la revoir.
        - Alice, ça ne te dérange pas si…
     
    Elle m'interrompit.
        - Rosalie m'emmènera. Elle va faire comme si elle était énervée, mais tu sais à quel point elle adore trouver des excuses pour montrer sa voiture.
        Alice rit. Je lui adressai un grand sourire.
        - Je te vois au lycée.
        Alice soupira, et mon sourire se transforma en grimace.
        Je sais, je sais, pensa-t-elle. Pas encore. J'attendrai que tu sois prêt à ce que Bella me rencontre. Tu devrais savoir, pourtant, ce n’est pas du pur égoïsme de ma part. Bella va m’aimer aussi.
        Je ne lui répondis pas puisque je me précipitais vers la porte. Il y avait une autre façon de voir cette situation. Bella voudrait-elle rencontrer Alice ? Avoir un vampire comme amie ?
        Connaissant Bella... cette idée ne la dérangerait pas le moins du monde.

        Je fronçai les sourcils pour moi-même. Ce que Bella voulait et ce qui était bon pour elle étaient deux choses complètement différentes.
        Je commençai à me sentir agité en me garant dans l’allée devant chez Bella. L’adage humain voulait que les choses aient l’air différent le matin – qu'elles changeaient après une bonne nuit de sommeil. Apparaîtrais-je différent aux yeux de Bella dans la faible lumière de ce jour embrumé ? Plus sinistre ou moins sinistre que je l’étais dans la noirceur de la nuit ? La vérité l’avait-elle imprégnée durant son sommeil ? Serait-elle enfin effrayée ?

        Pourtant, ses rêves avaient été paisibles, la nuit dernière. Quand elle avait prononcé mon nom, encore et encore, elle avait souri. Plus d’une fois dans ses murmures elle avait supplié que je reste. Cela ne signifierait-il plus rien aujourd'hui ?
     
    J'attendis nerveusement, écoutant les bruits qu'elle produisait dans la maison - les pas rapides déboulant l’escalier, le papier aluminium arraché rapidement, les choses dans le réfrigérateur s'entrechoquant à l'ouverture de la porte. À l’entendre, elle semblait en retard. Impatiente de retourner à l’école ? Cette pensée me fit sourire, plein d’espoir une nouvelle fois.
        Je regardai l’heure. Je supposai – en tenant compte de la vélocité de sa camionnette délabrée – qu’elle était effectivement en retard.

        Bella se précipita hors de la maison, le sac lui tombant de l’épaule, les cheveux complètement emmêlés. Le gros pull vert qu’elle arborait ne l'empêchait pas de rentrer les épaules sous l’effet produit par le froid.
        Le long pull était trop grand pour elle. Peu flatteur. Cela cachait sa fine silhouette, réduisant ses courbes délicates et ses doux traits à un fouillis sans forme. J’appréciai cela autant que si elle avait porté quelque chose ressemblant à ce corsage bleu qu’elle avait mis hier soir... Sa coupe avait collé à sa peau d’une façon si attrayante, coupé assez bas pour révéler la façon hypnotique dont ses clavicules se courbaient juste sous le creux sous sa gorge. Le bleu avait coulé comme de l’eau sur les formes subtiles de son corps...

        Il était mieux – essentiel – que je garde mes pensées loin, très loin de ses formes, j’étais donc reconnaissant qu’elle porte ce sweat inapproprié. Je ne pouvais plus me permettre de faire d'erreurs, et ce serait une erreur monumentale que de m’attarder sur la faim étrange que le pensée de ses lèvres... sa peau...son corps... faisait vibrer en moi. Faim qui s’était esquivée voilà cent ans. Mais je ne pouvais pas me permettre de penser à la toucher, parce que c’était impossible.
        Je la briserais.
        Bella se détourna de la porte, si vite qu’elle faillit rentrer dans ma voiture sans même la remarquer.
        Puis, elle s'arrêta, les genoux verrouillés sous l’effet de la surprise. Son sac descendit un peu plus le long de son bras, et ses yeux s'écarquillèrent, concentrés sur la voiture.
        Je sortis, ne me forçant pas à bouger à une vitesse humaine, et lui ouvris la porte côté passager. J’allais essayer de ne plus la décevoir – quand nous étions seuls, du moins, je serais moi-même.

        Elle me regarda, surprise de nouveau comme si je venais de me matérialiser dans un rideau de fumée. Puis la surprise dans ses yeux se changea en quelque chose d’autre, et je n’eus plus peur – je n'espérai plus non  plus – que ses sentiments envers moi aient changé au cours de la nuit. Chaleur, fascination, émerveillement, tout cela nageait dans le chocolat fondu de ses yeux.

        - Veux-tu que je t’emmène ? dis-je.
        Contrairement au dîner, je la laisserais choisir. A partir de maintenant, elle devrait toujours avoir le choix.

        - Oui, merci, murmura-t-elle, grimpant dans la voiture sans hésiter.
        Cela cesserait-il un jour de me faire frissonner de plaisir, de savoir que j’étais celui à qui elle disait oui ? J’en doutais.

        Je montai dans la voiture en un clin d’œil, pressé de la rejoindre. Elle ne montra aucun signe de choc face à ma réapparition soudaine.
        Le bonheur que je ressentis quad elle s'assit près de moi n’avait pas de précédent. Même si j’appréciais l’amour et la compagnie de ma famille, malgré toutes les distractions et divertissement que le monde avait à offrir, je n’avais jamais été heureux à ce point. Même le fait de savoir que c’était mal, que cela ne pourrait que mal finir, ne put m'empêcher de sourire plus longtemps.

        Ma veste était pliée sur l’appui tête au dessus de son lit. Je la vis y jeter un coup d’œil.

        - J’ai rapporté la veste pour toi, lui dis-je.
        C’était mon excuse, si j'avais eu besoin d’en inventer une, pour me pointer ce matin sans être invité. Il faisait froid. Elle n’avait pas de manteau. C’était sûrement une forme acceptable de galanterie.
       
    - Je ne voulais pas que tu tombes malade ou quoi que ce soit.

        - Je ne suis pas si fragile,
    dit-elle, fixant mon torse plutôt que mon visage, comme si elle hésitait à rencontrer mes yeux.
        Mais elle mit le blouson avant que je ne recoure au commandement ou à la flatterie.
        - Vraiment ? murmurai-je, plus pour moi que pour elle.
        Elle fixa la route tandis que j’accélérais vers le lycée. Je ne pus supporter le silence que quelques secondes. Je devais savoir vers quoi se dirigeaient ses pensées ce matin. Tellement de choses avaient changé entre nous depuis la dernière fois que le soleil avait été présent.
        - Quoi ? Aucune question aujourd’hui ? demandai-je, le ton léger.

        Elle sourit, semblant heureuse que je lance le sujet.
       
    - Est-ce que mes questions te dérangent ?

        - Pas autant que tes réactions,
    lui dis-je honnêtement, souriant pour répondre à son sourire.

        Le sien se perdit.
       
    - Je réagis mal ?

        - Non, c’est le problème. Tu prends tout de façon tellement détendue – ce n’est pas naturel.

        Pas un seul cri jusqu’à présent. Comment était-ce possible ?
        - Je me demande juste ce que tu penses vraiment.
        Bien sûr, je me posais toujours cette question, quoi qu’elle fasse ou ne fasse pas.
       
    - Je te dis toujours ce que je pense vraiment.
        - Tu éludes.

        Ses dents se pressèrent sur ses lèvres une nouvelle fois. Elle ne semblait pas remarquer qu’elle faisait cela - c’était une réponse inconsciente à la tension.
        - Pas tant que ca.
        Ces simples mots suffirent à enflammer ma curiosité. Quelle information retenait-elle intentionnellement ?
        - Assez pour me rendre fou, dis-je.

        Elle hésitait puis soupira.
         - Tu ne veux pas le savoir.
        Je dus réfléchir un moment, repasser toute notre conversation de la nuit dernière, mot par mot, avant que la connexion ne se fasse. Peut-être que cela me prit trop de concentration car je ne pouvais pas imaginer une seule chose que je n’eus pas voulu qu’elle me dise. Et puis - car le ton de sa voix était le même que la nuit dernière; soudainement une douleur y était apparue - je me souvins. Une fois je lui avais demandé de ne pas exprimer ses pensées. "Ne redis jamais ça." Je l’avais surprise. Je l’avais fait pleurer...

        Était-ce ce qu’elle refusait de me dire ? La profondeur de ses sentiments pour moi ? Que le fait que je sois un monstre lui importait peu, et qu’il était trop tard pour qu’elle change d’avis ?

        J’étais incapable de parler, parce que la joie et la douleur étaient trop fortes pour être exprimées avec des mots, le conflit entre eux était trop violent pour permettre une réponse cohérente. Le silence s’installa dans la voiture, excepté pour les rythmes égaux de sa respiration et des battements de son cœur.
        - Où est le reste de ta famille ? demanda-t-elle soudainement.
        Je pris une profonde inspiration - enregistrant le parfum dans la voiture sans véritable douleur pour la première fois ; je m’y habituais, réalisai-je avec satisfaction - me forçant à être décontracté une nouvelle fois.
        - Ils ont pris la voiture de Rosalie.
         Je me garai sur une place libre, juste à côté de la voiture en question. Je cachai mon sourire quand je vis ses yeux grands ouverts.
        
    - Ostentatoire, n’est ce pas ?

        - Hmm, wow. Si elle a ça, pourquoi est-ce qu’elle monte en voiture avec toi ?
        Rosalie aurait apprécié la réaction de Bella... si elle avait été objective avec Bella, ce qui n’arriverait probablement pas.

       
    - Comme je l’ai dit, c’est ostentatoire. Nous essayons de passer inaperçus.
        - C'est raté,
    dit-elle, puis elle rit timidement.
        Le son insouciant, paisible de son rire me réchauffa le cœur même si ma tête se remplissait de doutes.
        - Alors pourquoi Rosalie se conduit-elle de façon si ostentatoire ? demanda-t-elle.
        - Tu n’as pas remarqué ? J’enfreins toutes les règles maintenant.
     
    Ma réponse aurait du être légèrement effrayante – et bien sûr Bella y sourit.
        
    Elle n’attendit pas que je lui ouvre la porte, comme la nuit dernière. Je devais feindre la normalité à l’école - donc je ne pouvais pas marcher assez vite pour empêcher ça - mais elle allait devoir s’habituer à être traiter avec plus de courtoisie, et vite.
        Je marchai aussi près d’elle que je l’osai, guettant consciencieusement le moindre signe démontrant que ma proximité la gênait. Deux fois sa main tressauta dans ma direction, puis elle la retint. C’est comme si elle voulait me toucher... ma respiration s'accéléra.
        - Pourquoi avez-vous de telles voitures? Si vous voulez passer inaperçus? demanda-t-elle en marchant.

        - C’est un péché mignon, admis-je. Nous aimons conduire vite.
        - J’avais compris, marmonna-t-elle, le ton amer.

        Elle ne leva pas les yeux pour voir mon sourire.

        Oh non ! Je ne peux pas y croire. Comment Bella a-t-elle fait ? Je ne comprends pas ! Pourquoi ?
    Les hésitations mentales de Jessica interrompirent mes pensées. Elle attendait Bella, à l’abri de la pluie, sous le toit de la cafétéria, avec le manteau d’hiver de Bella sur le bras. Ses yeux étaient grands ouverts d’incrédulité.

        Bella la remarqua, elle aussi, l’instant d'après. La joue de Bella vira légèrement au rose lorsqu’elle remarqua l’expression de Jessica. Les pensées de Jessica se dessinaient très bien sur son visage.
        - Hey Jessica. Merci de t’en être souvenue, la remercia Bella. Elle attrapa la veste que Jessica lui tendait, muette.
        Je devrai être poli envers les amis de Bella, qu’ils soient de bons ou de mauvais amis.
         - Bonjour Jessica.
     
    Whoa...
        Les yeux de Jessica s'écarquillèrent encore un peu plus. C’était bizarre et amusant... et honnêtement un peu embarrassant... de réaliser à quel point la proximité de Bella m’avait adouci. Il semblait que plus personne n’avait peur de moi. Si Emmett s’en rendait compte, il en rirait durant au moins cent ans.

        - Euh...salut, marmonna Jessica, les yeux rivés sur le visage de Bella, plein de signification. Je pense qu'on se voit en maths.

        Toi, tu vas cracher le morceau. Tu vas y passer. Des détails. Je dois avoir les détails. Edward CULLEN, nom de Dieu ! La vie est tellement injuste.
        La bouche de Bella se tordit.
         - Oui, on se voit là-bas.
        Les pensées de Jessica s’agitèrent tandis qu’elle entrait dans son premier cours, nous jetant des regards furtifs de temps en temps.
        Toute l’histoire. Je n'accepterai rien de moins. Est-ce qu’ils avaient prévu de se retrouver hier soir ? Est-ce qu’ils sortent ensemble ? Depuis combien de temps ? Comment a-t-elle pu garder ça secret ? Pourquoi voudrait-elle le garder secret ? Ça ne peut pas être un truc de passage - elle doit être à fond sur lui. Y’a-t-il une autre option? Je vais le savoir. Je ne peux pas ne pas savoir. Je me demande s'ils l’ont déjà fait? Oh mon Dieu... Les pensées de Jessica disjonctèrent soudain, et elle laissa des fantasmes sans nom tourbillonner dans sa tête. Je grimaçai devant ses spéculations, et pas seulement parce qu’elle s’était mise à la place de Bella dans ces images mentales.
        Je ne pouvais pas être comme ça. Et pourtant je... je voulais...
     
     Je résistai devant cette idée. De combien de mauvaises manières voulais-je Bella ? Laquelle finirait par la tuer ?
     
    Je secouai la tête, essayant de l'éclaircir.
        - Que vas-tu lui dire ? demandai-je à Bella.

        - Hé ! murmura-t-elle férocement.
    Je pensais que tu ne pouvais pas lire dans mon esprit!
     
    - Je ne peux pas.

         Je la fixai, surprise, essayant de comprendre le sens de mes paroles. Ah - nous avions dû penser la même chose au même moment. Hmmm... J’aimais plutôt ça.
         - Toutefois, lui dis-je, je peux lire dans le sien - elle attendra pour te tendre une embuscade en classe.
        Bella grogna, puis laissa la veste lui tomber des épaules. Je n’avais pas réalisé qu’elle me la rendait au début - je ne lui aurais pas demandé de le faire ; j’aurais préféré qu’elle la garde... comme un symbole - je fus donc trop lent à lui proposer mon aide. Elle me tendit la veste, puis glissa ses bras dans la sienne, sans même regarder mes mains tendues pour l’aider. Je fronçai les sourcils, puis contrôlai mon expression avant qu’elle ne s’en aperçoive.
     
    - Alors, que vas-tu lui dire ? la pressai-je.
     
    - Un petit coup de main ? Qu’est-ce qu’elle veut savoir ?
        Je souris, secouant la tête. Je voulais savoir ce qu’elle pensait sans avoir à lui souffler la réponse.
         - Ce n’est pas juste.
     
    Ses yeux se plissèrent.
         - Non, c'est le fait que tu ne partages pas ce que tu sais qui est injuste.
        Bien sûr - elle n’aimait pas qu’il y ait deux poids deux mesures.
        Nous arrivions à la porte de sa salle de cours - où je devrais la laisser ; je me demandai machinalement si Mme Cope serait plus accommodante pour faire un échange d’emploi du temps durant mon heure d’anglais... Je me concentrai. Je pouvais être juste.
        - Elle veut savoir si nous sortons secrètement ensemble, dis-je lentement. Et elle veut savoir ce que tu ressens pour moi.
     
    Ses yeux étaient grands ouverts - pas surpris, mais faussement innocents à présent. Ils étaient grand ouverts pour moi, lisibles. Elle jouait les ingénues.

        - Zut, murmura-t-elle.
    Comment pourrais-je qualifier notre relation ?
     
    - Hmm.

         Elle essayait toujours de me faire dire plus que ce que je voulais. Je pondérai ma réponse.

        Une mèche volage de ses cheveux, légèrement humide à cause du brouillard, tomba sur son épaule, et s’enroula là ou sa clavicule était caché par ce sweater ridicule. Elle entraîna mes yeux... bien au-delà des autres courbes cachées...
     
    Je l’attrapai précautionneusement, sans toucher sa peau - ce matin était déjà assez frisquet sans que je ne la touche - et la remis en place dans son chignon désordonné pour ne plus qu’il me distraie. Je me souvins du jour où Mike Newton avait touché ses cheveux, et mes mâchoires se serrèrent à ce souvenir. Elle l’avait repoussé. Sa réaction à présent n’avait rien de comparable ; à la place, ses yeux s'ouvrirent légèrement plus, le sang afflua sous sa peau, et soudain, son cœur eut un raté.
        J’essayai de cacher mon sourire en répondant à sa question.

       
    - Je suppose que tu pourrais répondre oui à la première question... si ça ne te dérange pas - le choix, je devais toujours lui laisser le choix - ce sera plus facile que n’importe quelle explication.
     
    - Ça ne me dérange pas,
    murmura-t-elle ; son cœur n’avait pas encore retrouvé son rythme normal.
    
      - Et pour l’autre question...
         Je ne pouvais plus cacher mon sourire à présent.
         - Eh bien, j’écouterai la réponse à celle-ci moi même.
     
    Voyons ce que Bella allait faire de ça. Je retins mon rire en voyant le choc apparaître sur son visage.
    Je me tournai rapidement, avant qu’elle ne me pose d’autres questions. J’avais eu du mal à ne pas lui donner ce qu’elle m’avait demandé. Et je voulais entendre ses pensées, pas les miennes.
        - Je te vois à la cafétéria, lui lançai-je par dessus mon épaule, en excuse pour voir si elle me fixait toujours, les yeux grands ouverts. Sa bouche aussi était grande ouverte. Je me retournai de nouveau et ris.
        En m'éloignant, j’avais vaguement conscience du choc et des pensées qui tourbillonnaient autour de moi - des yeux sautillant entre le visage de Bella et ma silhouette qui s’éloignait. Je leur accordai peu d’attention. Je ne pouvais pas me concentrer. C’était assez dur de faire bouger mes pieds à une vitesse acceptable en traversant la pelouse détrempée vers ma prochaine classe. Je voulais courir - vraiment courir, tellement vite que je disparaîtrais, tellement vite que j’aurais l’impression de voler. Une part de moi volait déjà.

        Je mis la veste en arrivant en classe, laissant son parfum flotter autour de moi. J’allais brûler - laisser l’odeur me désensibiliser - puis il serait plus facile de l’ignorer plus tard, quand je serais de nouveau avec elle au déjeuner...
     
    C’était une bonne chose que les professeurs ne cherchent même plus à m’interroger. Aujourd’hui aurait été le jour où ils m’auraient attrapé, non préparé et sans réponse. Mon esprit était si dissipé ce matin ; mon corps seulement se trouvait en classe.
        Bien sûr, je regardai Bella. Cela me devenait naturel - aussi automatique que de respirer. J’entendis la conversation qu’elle eut avec un Mike Newton complètement démoralisé. Rapidement, elle dirigea la conversation sur Jessica, et je souris tellement que Rob Sawyer, assis à la table juste à ma droite, tressaillit visiblement et s'enfonça un peu plus dans sa chaise, loin de moi.
        Ugh. Horrible.
        Eh bien, je n’avais pas complètement perdu la main.

        J’avais aussi mis Jessica sous surveillance distraite, la regardant peaufiner ses questions pour Bella. Je ne pouvais plus attendre d’être au déjeuner, dix fois plus désireux et anxieux que cette fille humaine curieuse de se procurer de nouveaux potins.

        Et j’écoutais aussi Angela Weber.

        Je n’avais pas oublié la gratitude que je ressentais pour elle - pour ne penser que du bien de Bella, en premier lieu, et pour m’avoir aidé la nuit dernière. Je patientai donc toute la matinée, cherchant quelque chose qu’elle désirait. Je pensais que ce serait facile ; comme tous les autres humains, il y avait bien une babiole ou un jouet qu’elle voulait en particulier. Plusieurs peut-être. Je lui livrerais quelque chose, anonymement, et nous serions quittes.
        Mais Angela se révéla aussi peu accommodante que Bella dans ses pensées. Elle était étrangement épanouie pour une adolescente. Heureuse. Peut-être était-ce la raison de son inhabituelle gentillesse - elle faisait partie de ces rares personnes qui ont ce qu’elles veulent et veulent ce qu’elles ont. Si elle ne prêtait pas attention aux professeurs, et à ses notes, elle pensait à ses deux petits frères jumeaux qu’elle emmènerait à la plage ce week-end - anticipant leur excitation comme une mère. Elle s’occupait d’eux souvent, mais ne s’en plaignait pas... c’était très gentil de sa part.

        Mais ça ne m’aidait pas beaucoup.

        Il devait bien y avoir quelque chose qu’elle désirait. Je devrais seulement continuer à guetter. Mais plus tard. C’était l’heure de maths pour Bella et Jessica.
     
     Je ne regardai même plus ou j’allais en me rendant en cours d’anglais. Jessica était déjà assise, ses deux pieds tapant impatiemment contre le sol en attendant que Bella arrive.
     
    Inversement, une fois que je fus assis sur ma chaise, je devins parfaitement immobile. Je dus me souvenir de gesticuler de temps en temps. Pour sauver les apparences. C’était difficile, mes pensées étaient concentrées sur Jessica. J'espérai qu’elle prêterait attention à Bella, essayant de déchiffrer ses expressions pour moi.
     
    Les battements de pieds de Jessica s’intensifièrent quand Bella entra dans la pièce.
        Elle a l’air... morose. Pourquoi ? Peut-être qu’il ne se passe rien avec Edward Cullen. Ce serait une déception. Sauf si... alors il serait libre... S'il est soudainement intéressé pour sortir avec quelqu’un. Ça ne me dérange pas de dépanner.
        Le visage de Bella ne paraissait pas morose, mais plutôt réticent. Elle était inquiète - elle savait que j’écouterais tout. Je me souris à moi-même.

        - Dis-moi tout ! demanda Jessica alors que Bella enlevait encore sa veste pour la pendre sur le dos de sa chaise. Elle bougeait avec mesure, de mauvaise grâce.

        Oh, elle est tellement lente. Allons directement au plus juteux!
        - Que veux-tu savoir ? temporisa Bella en prenant place.
       
    - Que s’est-il passé hier soir ?
     
    - Il m’a emmenée dîner, puis il m’a ramenée à la maison.

        Et après ? Allez quoi, il doit bien y avoir plus que ça ! De toute façon, elle ment, je le sais. Je vais lui faire cracher le morceau.
     
    - Comment es-tu arrivée chez toi si vite ?
        Je regardai Bella rouler les yeux devant la suspicion de Jessica.

        - Il conduit comme un dingue. C’était terrifiant.
        Elle fit un petit sourire, et je ris à haute voix, interrompant les annonces de M. Mason. J’essayai de transformer mon rire en toux, mais personne ne s’y laissa prendre. J’écoutai Jessica.

        Huh. On dirait qu’elle dit la vérité. Pourquoi est-ce qu’elle me fait lui tirer les vers du nez ? Je serais en train de hurler à m’en faire exploser les poumons si j’étais elle.
        - Est ce que c’était un rendez-vous - tu lui as demandé de te retrouver là-bas ?
        Jessica remarqua la surprise s’inscrire sur le visage de Bella, et fut déçue de la sincérité que cela dégageait.
        - Non - j’ai été très surprise de la voir là-bas, lui dit Bella.

        Qu’est ce qu’il se passe?
        - Mais il t’a emmené à l’école, aujourd’hui ? Il doit sûrement y avoir plus derrière cette histoire.
        - Oui - c’était une surprise aussi. Il a remarqué que je n’avais pas ma veste hier soir.
        Ce n’est pas très drôle, pensa Jessica, déçue une fois de plus.
        J’étais fatigué de sa suspicion - je voulais entendre quelque chose que je ne savais pas déjà. J'espérai qu’elle ne serait pas trop mécontente, et qu’elle continuerait à lui poser les questions que j'attendais.
        - Alors, est-ce que vous allez ressortir ensemble ? demanda Jessica.
        - Il a proposé de me conduire à Seattle ce week-end car il pense que ma camionnette ne fonctionne pas très bien – est-ce que ça compte ?
     
    Hmm. Il essaye sûrement de... eh bien s’occuper d’elle, en quelque sorte. Il doit bien y avoir quelque chose de son côté à lui, si ce n’est celui de Bella. Comment c’est possible ? Bella est folle?
        - Oui, répondit Jessica à la question de Bella.

        - Alors oui, conclut Bella.
     
    - Wow... Edward Cullen. Qu’elle l’aime ou pas, c’est déjà énorme.
        - Je sais, soupira Bella.

        Le ton de sa voix encouragea Jessica. Enfin - elle a l’air de réaliser. Elle doit réaliser...
        - Attends ! dit Jessica se souvenant soudain de sa question la plus vitale. Est-ce qu’il t’a embrassée ? S’il te plaît, dis oui. Puis décris-moi chaque seconde !
     
    - Non, marmonna Bella, puis elle baissa le regarde sur ses mains, le visage défait.
    Ce n’est pas comme ça entre nous.
     
    Merde. J'espérais... Ha. Elle aussi elle espérait.

        Je fronçai les sourcils. Bella avait l’air contrariée par quelque chose, mais ça ne pouvait pas être de la déception comme Jessica semblait le penser. Elle ne pouvait pas vouloir être aussi près de mes dents. D'après ce qu’elle savait, j’avais des crocs.
        Je frissonnai.

        - Tu penses que samedi... ? encouragea Jessica.
        Bella sembla encore plus frustrée en disant :
        - J’en doute.
     
    Ouais, elle espère. Ça craint pour elle.
        Était-ce parce que je regardais tout cela à travers le filtre des perceptions de Jessica qu’il me semblait qu’elle avait raison ?
        Durant une demi-seconde, je fus distrait par l’idée, l’impossibilité, de ce que ce serait de l’embrasser. Mes lèvres contre ses lèvres, la pierre froide contre la chaleur souple de la soie...
    
    Puis elle mourrait.
    
    Je secouai ma tête, grimaçant, et me forçant à prêter attention.

        - De quoi est ce que vous avez parlé ? Est-ce que tu lui as parlé, ou est-ce que tu l’a laissé t'extirper la moindre information comme ça ?
     
    Je souris, piteux. Jessica n’était pas si loin de la vérité.

        - Je ne sais pas, Jess, de pas mal de choses. Nous avons un peu parlé de la disserte d’anglais.
     
    Un tout petit peu. Je souris un peu plus.
        Oh, allez, quoi.
        - S’il te plaît, Bella ! Donne-moi des détails.
     
    Bella délibéra pendant un moment.
        - Eh bien... ok, j’en ai un. Tu aurais dû voir la serveuse flirter avec lui - c’était limite trop. Mais il ne l'a même pas regardée.
        Quel étrange détail à partager. Je fus surpris que Bella l’ait même remarqué. Cela semblait une chose très inconséquente.
        Intéressant...
        - C’est bon signe. Est-ce qu’elle était jolie ?
     
    Hmm. Jessica y pensait plus que je ne l’avais fait. Cela devait être un truc de fille.

        - Très, lui dit Bella. En plus elle avait probablement 19 ou 20 ans.
     
    Jessica fut momentanément distraite par un souvenir de Mike durant leur rendez-vous de lundi soir - Mike avait été un peu trop sympathique avec la serveuse que Jessica ne considérait même pas comme jolie. Elle chassa ce souvenir, et retourna, suffocant d’irritation, à sa quête de détails.
        - Encore mieux. Il doit t’aimer.
     
    - Je pense, dit Bella lentement ; j’étais au bord de mon siège, mon corps rigide et immobile. Mais c’est difficile à dire. Il est tellement énigmatique.
     
    Je n’avais pas du être aussi transparent et hors de contrôle que je ne le pensais. Mais tout de même... aussi observatrice qu’elle... Comment pouvait-elle ne pas réaliser que j’étais amoureux d’elle ? Je fouillai dans notre conversation, presque surpris de ne pas avoir dit ces mots à haute voix. C’était comme si cela avait été un sous-titre à chacun de nos mots ce soir là.
        
    Wow. Comment peut-on s'asseoir en face d'un top model masculin et lui faire la conversation?
        - Je ne sais pas comment tu es assez courageuse pour être seule avec lui, dit Jessica.
        Le choc s’inscrit en un flash sur le visage de Bella.
        - Pourquoi ?
        Réaction bizarre. Qu’est ce qu’elle pense que ça veut dire?
        - Il est tellement... Quel est le mot juste? Intimidant. Je ne saurais pas quoi lui dire. Je n’ai même pas pu lui répondre en anglais aujourd’hui, et tout ce qu’il m’a dit c’était bonjour. J’ai dû passer pour une idiote.
     
    Bella sourit.
        - J’ai quelques problèmes d’incohérence quand il est dans les parages.
     
    Elle devait essayer de rassurer Jessica. Elle était toujours anormalement maîtresse d’elle-même lorsque nous étions ensemble.
        - Oh, eh bien, soupira Jessica. Il est incroyablement magnifique.
     
    Le visage de Bella fut soudainement froid. Ses yeux étincelaient de la même façon que lorsqu’elle ressentait de l’injustice. Jessica ne perçut pas le changement d’expression.
        - Il est bien plus que ça, lança Bella.
        Ooooh. Enfin quelque chose d’intéressant.
        - Vraiment ? Comment ça ?
     
    Bella mordilla ses lèvres pendant un instant.
        - Je ne peux pas vraiment l’expliquer, dit-elle finalement. Mais il n’y a pas que son physique qui est extraordinaire.
        Elle détourna son regard de Jessica, les yeux légèrement distraits alors qu'elle semblait fixer quelque chose de très très loin.

        Le sentiment que je ressentais à présent était presque le même que lorsque Carlisle ou Esmée louaient des mérites que je n’avais pas. Similaire, mais plus intense, plus consumant.

        T’as qu’à le faire croire à quelqu’un d’autre - il n’y a rien de mieux que ce visage. À moins que ce ne soit son corps. Oh.
        - Est-ce que c’est possible ? ricana Jessica.
        Bella ne se tourna pas. Elle continuait à fixer ce point au loin, ignorant Jessica.

        Une personne normale serait en pleine exultation. Peut-être que je devrais lui poser des questions plus simples. Ha ha. Comme si je parlais à un enfant à la garderie.
        - Alors, il te plaît vraiment ?
        J’étais de nouveau rigide.
        Bella ne regarda pas Jessica.
       
    - Oui.
        - Je veux dire, il te plaît vraiment ?
        - Oui.

        Regardez moi ça, elle rougit.
        - Il te plaît comment ? demanda Jessica.
        La salle d’anglais aurait pu s’enflammer, je ne l’aurais même pas remarqué. Le visage de Bella était rouge vif à présent - je pouvais presque sentir la chaleur émanant de cette image mentale.

        - Trop, murmura-t-elle. Plus que je ne lui plais. Mais je ne sais pas si j’arriverai à changer ça.

        Mince ! Qu’est ce que M. Varner vient juste de me demander ?
        - Hmm… quel numéro, M. Varner ?
     
    Il était bien que Jessica arrête d'interroger Bella. J’avais besoin d’une minute.

        Mais à quoi cette fille pouvait-elle bien penser maintenant ?
       
    Plus que je ne lui plais ? Comment en était-elle arrivée à cette conclusion ? Mais je ne sais pas si j’arriverai à changer ça ? Qu’est-ce que c’était censé vouloir dire ? Je ne trouvais pas d’explication rationnelle à ces mots. Ils n’avaient pratiquement aucun sens.
        Il semblait que je ne pouvais rien prendre pour acquis. Des choses évidentes, parfaitement logiques, se retrouvaient complètement déformées et inversées dans son cerveau bizarre. Plus que je ne lui plais ? Peut-être ne devrais-je plus me fier à cet établissement.
        Je jetai un regard furieux à l'horloge, grinçant des dents. Comment de simples minutes pouvaient-elles paraître si incroyablement longues à un immortel comme moi ? Où était passé mon don pour relativiser les choses ?
     
    Mes mâchoires restèrent serrées durant tout le cours de mathématiques de M. Varner. J’entendis plus de son cours que du mien. Bella et Jessica ne parlaient plus, mais Jessica jeta plusieurs fois des regards vers Bella, voyant son visage devenir écarlate une nouvelle fois sans raison apparente.

        Le déjeuner se faisait attendre.
        Je n’étais pas sûr que Jessica puisse obtenir certaines des réponses que j’attendais avant la fin du cours, mais Bella fut plus rapide qu’elle.

        Dès que la sonnerie retentit, Bella se retourna vers Jessica.
        - En Anglais, Mike m’a demandé si tu m’avais dit quelque chose à propos de lundi soir, dit Bella, un sourire à la commissure de ses lèvres.
        Je savais ce qu’elle faisait – l'attaque était la meilleure des défenses.
     
    Mike a posé des questions sur moi ? La joie envahit l’esprit de Jessica en un instant, douce, irréfléchie, sans cette pointe sournoise qu’elle avait d’habitude.
       
    - Tu déconnes ? Qu’est ce que tu lui as dit ?

        - Je lui ai dit que tu t’étais beaucoup amusée – il avait l’air ravi.
     
    - Dis-moi exactement ce qu’il t’a dit, et ta réponse exacte !

        C’était tout ce que je tirerais de Jessica aujourd’hui, apparemment. Bella souriait comme si elle pensait la même chose. Comme si elle avait gagné cette manche.

        Eh bien, le déjeuner serait une autre histoire. Je m'assurerais de lui soutirer plus de réponses que Jessica.
        Je ne supportai plus de vérifier les pensées de Jessica durant la dernière heure. Je n’avais plus aucune patience pour ses pensées obsessionnelles envers Mike Newton. J’en avais plus qu’assez de lui depuis deux semaines. Il pouvait s'estimer heureux d’être encore en vie.
        Alice et moi nous contentâmes de nous mouvoir d'un pas apathique pendant le cours de gym ; nous marchions toujours ainsi lorsqu’il s’agissait d’activité physique impliquant des humains. Elle était ma partenaire, naturellement. C’était le premier jour de badminton. Je soupirai d’ennui, bougeant la raquette au ralenti pour renvoyer le volant. Lauren Mallory était de l’autre côté ; elle le rata. Alice faisait virevolter sa raquette comme une matraque, fixant le plafond.
        Nous détestions tous la gym, surtout Emmett. Truquer les matchs était un affront à sa philosophie personnelle. Le cours de gym semblait pire aujourd’hui que d’habitude – je me sentais aussi irrité qu'Emmett.

        Avant que ma tête n’explose sous l’effet de l'impatience, le coach Clapp arrêta les matchs et nous fit sortir plus tôt. J’étais ridiculement reconnaissant qu’il ait loupé son petit déjeuner – une nouvelle tentative de régime –, la faim qui en résultait le pressant à quitter le campus pour aller trouver un déjeuner bien gras quelque part. Il se promit de le retenter le lendemain...
        Cela me donna assez de temps pour arriver au bâtiment de sciences avant que le cours de Bella ne finisse.

        Amuse-toi bien, pensa Alice en partant retrouver Jasper. Plus que quelques jours à patienter. Je suppose que tu ne diras pas bonjour à Bella de ma part, n’est-ce pas ?
        Je secouai la tête, exaspéré. Depuis quand les voyants étaient-ils aussi suffisants ?

        Pour ton information, il va faire super beau ce week-end, tu ferais mieux de réarranger tes plans.
        Je soupirai en continuant dans la direction opposée. Elle était suffisante, mais définitivement utile.

        Je m’adossai au mur devant de la porte, attendant. J’étais assez près pour entendre la voix de Jessica à travers le mur, aussi bien que ses pensées.
        - Tu ne vas pas t'asseoir avec nous aujourd’hui, n’est ce pas ? Elle a l’air toute... gaie. Je parie qu’il y a une tonne de trucs qu’elle ne m’a pas dits.
        - Je ne crois pas, répondit Bella, bizarrement incertaine.
        Ne lui avais-je pas promis que je passerais le déjeuner avec elle ? À quoi pensait-elle ?

        Elles sortirent de la classe ensemble, et leurs yeux s’écarquillèrent lorsqu’elles me virent. Mais je ne pouvais entendre que Jessica.
        Sympa. Wow. Oh oui, il y beaucoup plus que ce qu’elle m'a raconté. Peut-être que je l'appellerai ce soir... Ou peut-être que je ne devrais pas l’encourager. Ouais. J'espère qu’il va se lasser d’elle rapidement. Mike est mignon, mais... wow.
        - On se voit plus tard, Bella.
        Bella s'avança vers moi, s'arrêtant à quelques pas, toujours aussi incertaine. Sa peau était rose au niveau des joues.

        Je la connaissais assez bien désormais pour être sûr que cela n’était pas une hésitation due à la peur. Apparemment, il s’agissait plus d’un fossé qu’elle imaginait entre ses sentiments et les miens. Plus que je ne lui plais. Absurde.
        - Bonjour, lui dis-je d'une voix légèrement brusque.
        Son visage s’éclaira
        - Salut.
     
    Elle ne semblait pas encline à dire quoi que ce soit d’autre, alors je l'accompagnai jusqu’à la cafétéria, elle marcha silencieusement à mes côtés.

        Le coup de la veste avait fonctionné – son parfum ne me faisait plus l’effet d'une explosion à présent. C’était juste une intensification de la douleur que je ressentais déjà. Je pouvais l’ignorer plus facilement que je ne l’aurais jamais cru possible.
        Bella était agitée en faisant la queue, jouant distraitement avec sa fermeture éclair, se balançant d’un pied à l’autre. Elle me jetait souvent des coups d’œil, mais dès qu’elle rencontrait mon regard, elle regardait par terre, embarrassée. Était-ce parce que tant de gens nous regardaient ? Peut-être pouvait elle entendre les murmures bruyants – la rumeur étaient aussi bien verbale que mentale aujourd’hui.
        Ou peut-être se rendait-elle compte, au vu de mon expression, qu’elle allait avoir des problèmes.
        Elle ne dit rien jusqu’à ce que je récupère son déjeuner. Je ne savais pas ce qu’elle aimait – pas encore – alors je pris un peu de tout.

        - Qu’est ce que tu fais ? siffla-t-elle, la voix basse. Tu ne prends pas tout ça pour moi ?
        Je secouai la tête, et poussai le plateau jusqu’à la caisse.
        - La moitié est pour moi, bien sûr.
        Elle haussa un sourcil, sceptique, mais n'ajouta rien tandis que je payais pour la nourriture et l’escortais à la table où nous nous étions assis la semaine précédente, juste avant l'expérience désastreuse sur les groupes sanguins. Il me semblait que c'était plus que quelques jours auparavant. Tout était différent à présent.

        Elle s’assit en face de moi. Je poussai le plateau dans sa direction.
         - Prends ce que tu veux, lui dis-je, encourageant.
        Elle prit une pomme, et la tourna dans sa main, le regard spéculatif.

        - Je suis curieuse.
        Quelle surprise.
        - Que ferais-tu si quelqu’un te défiait de manger de la nourriture ? continua-t-elle, la voix basse pour ne pas être entendue des oreilles humaines.
        Les oreilles d’immortels étaient une autre histoire, si ces oreilles-là prêtaient attention. J’aurais probablement dû leur en toucher un mot auparavant...
     
    - Tu es toujours curieuse, me plaignis-je.
         Oh, et puis tant pis. Ce n’était pas comme si je n’avais pas eu à manger avant. Cela fait partie de la mascarade. Une partie pas très plaisante. J’attrapai la chose la plus proche de moi, et soutins son regard en mordant un petit bout de cette chose. Sans regarder, je n’aurais su dire de quoi il s’agissait. C’était gluant, visqueux et repoussant, comme toute nourriture humaine. Je mâchai promptement et avalai, essayant de m'empêcher de grimacer. Le morceau de nourriture descendit lentement et inconfortablement le long de ma gorge. Je soupirai en pensant que j’allais m’étouffer plus tard en le recrachant. Répugnant.

        Bella était choquée. Impressionnée.
         Je voulus lever les yeux au ciel. Bien sûr, nous avions perfectionné notre petite supercherie.
        - Si quelqu’un te défiait de manger de la terre, tu pourrais le faire, n’est-ce pas ?
     
    Son nez se fronça, et elle sourit.
       
    - Je l’ai fait une fois... c’était un pari. Ce n’était pas si horrible.
     
    - J’imagine que je ne dois pas être surpris,
    ris-je.
        Ils ont l’air intimes, non ? Un bon langage corporel. Je donnerai mon opinion à Bella plus tard. Il se penche vers elle comme il devrait le faire s'il était intéressé. Il a l’air intéressé. Il a l’air... parfait. Jessica soupira. Mmm.
        Je croisai les yeux curieux de Jessica, elle se détourna nerveusement, gloussant avec la fille à côté d’elle.
        Hmm, c’est probablement mieux de me contenter de Mike. La réalité, pas de fantasmes...
        - Jessica est en train d’analyser tout ce que je fais, informai-je Bella. Elle te retranscrira le tout plus tard.
     
    Je poussai l’assiette pleine de nourriture vers elle – de la pizza, réalisai-je – me questionnant sur le meilleur moyen d’entamer le sujet. Mon ancienne frustration resurgit lorsque les mots se répétèrent dans ma tête : Plus que je ne lui plais. Mais je ne sais pas si j’arriverai à changer ça.
        Elle mordit dans la même part de pizza. Cela m’étonna de voir à quel point elle avait confiance. Bien sûr, elle ne savait pas que j’étais venimeux – même si le fait de partager de la nourriture ne la tuerait pas. Tout de même, je m’attendais à ce qu’elle me traite différemment. Comme quelque chose d’autre. Elle ne le faisait jamais – du moins pas de façon négative...

        Je commencerais doucement.
        - Alors comme ça, la serveuse était jolie ?
     
    Elle souleva un sourcil de nouveau.
        - Tu n’as vraiment pas remarqué ?
     
    Comme si une femme pouvait espérer détourner mon attention de Bella. Absurde, une fois de plus.
        - Non. Je ne lui prêtais pas attention. J’avais autre chose en tête.
        Et le fin corsage qu'elle portait ce soir-là n'avait pas été la moindre de ces choses… Heureusement qu’elle avait cet horrible sweater aujourd’hui.
        - Pauvre fille, dit Bella en souriant.
        Elle aimait le fait que je n’aie pas du tout trouvé la serveuse à mon goût. Je pouvais le comprendre. Combien de fois avais-je souhaité paralyser Mike Newton en cours de biologie ?

        Elle ne pouvait pas réellement penser que ses sentiments humains, fruit de dix-sept courtes années de mortelle, puissent être plus forts que ces passions immortelles que j’avais bâties en moi en un siècle.
        - Il y a quelque chose que tu as dit à Jessica... (Je ne pouvais pas garder un ton décontracté.) Eh bien, ça me dérange.
     
    Elle fut immédiatement sur la défensive.
        - Je ne suis pas surprise que tu aies entendu quelque chose qui ne t’a pas plu. Tu sais ce qu’on dit des oreilles indiscrètes.
     
    Les oreilles indiscrètes n’entendent jamais de compliments, c’était ce qu'on disait.
        - Je t’avais prévenue que j’écouterais, lui rappelai-je.
       
    - Et je t’avais prévenu que tu ne voudrais pas savoir tout ce que je pense.
     
    Ah
    , elle repensait au moment où je l’avais fait pleurer. Le remords durcit ma voix.

        - C’est vrai. Mais tu n’as pas tout à fait raison cependant. Je veux savoir tout ce que tu penses – tout. J’aimerais juste... que tu ne penses pas certaines choses.
     
    Un autre demi-mensonge. Je savais que je ne devais pas vouloir qu’elle m’aime. Mais je le voulais. Bien sûr que je le voulais.

        - C’est une sacrée distinction, marmonna-t-elle, me regardant avec hargne.
       
    - Mais ce n’est pas exactement le sujet du moment.
     
    - Alors c’est quoi ?

     
    Elle se pencha vers moi, la main soutenant légèrement sa gorge. Cela attira mes yeux – me déconcentra. Combien cette peau devait être douce...
        Concentre-toi, m’ordonnai-je.
        - Crois-tu réellement que tu es plus attirée par moi que moi par toi ? demandai-je.
        La question me sembla ridicule, comme si les mots étaient brouillés.
        Ses yeux étaient grands ouverts, et sa respiration s'arrêta. Elle détourna le regard, clignant des yeux très vite. Sa respiration se transforma en faible halètement.
        - Tu le fais encore, murmura-t-elle.

       
    - Quoi ?

        - M’éblouir,
    admit-elle, rencontrant prudemment mes yeux.

        - Oh.
        Hmm. Je ne savais pas trop quoi faire à ce propos. Je ne savais pas non plus si je voulais ne plus l’éblouir. J’étais toujours excité de savoir que je le pouvais. Mais cela n’aidait pas la progression de la conversation.
        - Ce n’est pas ta faute, soupira-t-elle.
    Tu ne peux pas t’en empêcher.
     
    - Est-ce que tu vas répondre à ma question ?
    demandai-je.

        Elle fixa la table.
        - Oui.
        Ce fut tout ce qu’elle dit.

        - Oui, tu vas répondre à ma question, ou oui c’est vraiment ce que tu penses ? demandai-je, impatient.
        - Oui, c’est vraiment ce que je pense, dit-elle sans lever les yeux.
        Il y avait une légère pointe de tristesse dans sa voix. Elle rougit de nouveau, ses dents bougeant inconsciemment pour tripoter se lèvres.
        Abruptement, je réalisai que cela lui coûtait de l’admettre, car elle y croyait vraiment. Et je n’étais pas meilleur que ce lâche de Mike, lui demandant de confirmer ses sentiments avant de confirmer les miens. Cela ne comptait pas que j'aie eu l'impression que mes sentiments étaient transparents. Je ne l’avais pas convaincue, je n’avais aucune excuse.
        - Tu as tort, promis-je.
        Elle devait entendre la tendresse dans ma voix. Bella leva des yeux opaques, ne laissant rien transparaître.
        - Tu ne peux pas le savoir, murmura-t-elle.
        Elle pensait que je sous-estimais ses sentiments pour moi parce que je ne pouvais pas entendre ses pensées. Mais, en réalité, le problème était qu’elle sous-estimait les miens.

        - Qu’est-ce qui te fait penser ça ? questionnai-je.
        Elle me fixa, une ride entre ses sourcils, se mordant toujours les lèvres. Pour la millionième fois, j'espérai désespérément pouvoir l’entendre.
        J’étais sur le point de la supplier de me dire avec quelles pensées elle se débattait, mais elle leva un doigt pour m'empêcher de parler.

        - Laisse-moi réfléchir, exigea-t-elle.
        Tant qu’elle organisait simplement ses pensées, je serais patient.
        Ou je pouvais faire semblant de l’être.
        Elle pressa ses mains l’une contre l’autre, croisant et décroisant ses doigts fins. Elle regarda ses mains comme si elles appartenaient à quelqu’un d’autre lorsqu’elle parla.
        - Eh bien, si on laisse de côté ce qui semble évident, murmura-t-elle, parfois... je ne suis pas sûre – je ne sais pas comment lire dans les esprits, moi – mais parfois on dirait que tu essaies de dire au revoir quand tu dis autre chose.
        Elle ne leva pas les yeux.
        Elle s'était aussi rendue compte de ça ? Avait-elle compris que seuls ma faiblesse et mon égoïsme me gardaient près d’elle ? Était-ce pour cela qu'elle se méprenait sur mon compte?
        - Perspicace, soufflai-je, puis je regardai avec horreur la douleur envahir son visage.
        Je me dépêchai de contredire cette supposition.
        - Pourtant, c’est exactement pour cela que tu as tout faux, commençai-je avant de faire une pause, me souvenant les premiers mots de son explication.
        Ils me dérangeaient, même si je n’étais pas sûr de complètement les comprendre.
       
    - Que veux-tu dire par évident ?
     
    - Eh bien, regarde moi,
    dit elle.
        Je la regardai. Je ne faisais que la regarder depuis le début. Que voulait-elle dire?
        - Je suis absolument ordinaire, expliqua-t-elle. Enfin, sauf pour toutes ces mauvaises choses, comme frôler la mort, ou être si maladroite que j’en suis presque handicapée. Et regarde- toi.
        Elle éventa l’air de sa main en l'agitant dans ma direction, comme si elle présentait un argument tellement évident que cela n’avait pas besoin d’être dit à haute voix.
        Elle se trouvait ordinaire ? Bête, bornée, aveugle comme Jessica ou Mrs Cope ? Comment ne pouvait-elle pas se rendre compte qu’elle était la plus belle... la plus exquise... Ces mots n’étaient même pas assez forts.
        Et elle n’en savait rien.

        - Tu n’as pas une idée très juste de toi-même, tu sais, lui dis-je. J’admets que tu es irrécupérable en ce qui concerne les problèmes...
        Je ris sans humour. Je ne trouvais pas le destin maléfique qui la hantait amusant le moins du monde. Sa maladresse, par contre, était plutôt drôle. Attachante. Me croirait-elle si je lui disais qu’elle était magnifique, à l'intérieur comme à l'extérieur ? Peut-être trouverait-elle la corroboration plus persuasive.
        - Mais tu n’as pas entendu ce que tous les garçons humains pensaient de toi le tout premier jour.
     
    Ah, l'espoir, le frisson, la ferveur de ces pensées. La vitesse à laquelle elles s’étaient transformées en impossibles fantasmes. Impossibles parce qu’elle ne désirait aucun d’eux.
        J’étais celui à qui elle avait dit oui.
        Mon sourire dut lui paraître trop sûr de lui.

        Son visage était plein de surprise.
        - Je ne te crois pas, marmonna-t-elle.
        - Crois-moi là-dessus – tu es l’opposé d’une personne ordinaire.
     
    Son existence seule justifiait la création du monde entier.
        Elle n’était pas accoutumée à se faire complimenter, je pouvais le voir. Une autre chose à laquelle elle devrait s’habituer. Elle rougit puis changea de sujet.
        -
    En tout cas, moi, je ne te dis pas au revoir.
        - Ne vois-tu pas ? C’est ce qui prouve que j’ai raison. Je t’apprécie plus que toi, parce que si je peux le faire...

        Serais-je un jour assez altruiste pour faire ce qui était juste ? Je secouai ma tête de désespoir. Je devrais trouver la force. Elle méritait d’avoir une vie. Pas celle qu'Alice avait prévue pour elle.
        - Si partir est la bonne chose à faire...
        Et cela devait être la bonne chose, n’est ce pas ? Il n’y avait pas d’ange imprudent. Bella n'était pas à sa place avec moi.
        - Alors je pourrais souffrir pour m'empêcher de te faire du mal, pour que tu sois en sécurité.
        En disant ces mots, j'espérai qu’ils puissent être vrais.
        Elle me jeta un regard furieux. D’une certaine façon, mes mots ne l’avaient pas effrayée.
        - Et tu penses que je ne ferais pas pareil à ta place ? demanda-t-elle furieuse.
        Tellement furieuse – tellement douce et fragile. Comment pourrait-elle un jour faire du mal à quelqu’un ?
        - Tu n’auras jamais à faire ce genre de choix, lui dis-je, de nouveau déprimé par l’immense différence entre nous deux.
        Elle me fixa, l’inquiétude remplaçant la colère dans ses yeux, amenant son front à se plisser. Il y avait quelque chose de vraiment tordu dans l’ordre de l’univers si quelqu’un d’aussi bon et si fragile ne méritait pas un ange gardien pour la protéger.
        Eh bien, pensai-je avec humour noir, au moins elle a un vampire gardien.

        Je souris. Combien j’aimais cette excuse qui me permettait de rester.
        - Bien sûr, te garder en vie commence à être une occupation à part entière qui requiert ma présence constante.
     
    Elle sourit aussi.
        - Personne n’a essayé d’en finir avec moi aujourd’hui, dit-elle à la légère, puis son visage se fit hésitant durant une demi-seconde avant que ses yeux ne redeviennent opaques.
        - Pas encore, ajoutai-je sèchement.
        - Pas encore, acquiesça-t-elle à ma surprise.
        Je m’attendais à ce qu’elle démente son besoin d’être protégée.
     
    Comment peut-il ? Cet abruti égoïste ! Comment peut-il nous faire ça ? Les pensées perçantes de Rosalie brisèrent ma concentration tant elle paraissait les hurler.

        - Calme-toi, Rose, entendis-je Emmett murmurer de l’autre côté de la cafétéria.
        Son bras était autour des épaules de Rosalie, la serrant fort contre lui – la retenant. Désolée, Edward, pensa Alice, honteuse. Elle a deviné que Bella en savait trop à cause de votre conversation..., et puis ça aurait été pire si je ne lui avais pas dit la vérité tout de suite. Crois-moi là-dessus.
        Je tressaillis à l’image mentale qui suivit, à ce qui serait arrivé si j’avais dit à Rosalie que Bella savait que j’étais un vampire, à la maison, où Rosalie n’avait pas à sauver les apparences. Il faudrait que je cache mon Aston Martin quelque part hors de l’Etat si elle ne se calmait pas avant la fin des cours. Imaginer ma voiture préférée mutilée et brûlée était contrariant – mais je savais que je méritais cette vengeance.
        Jasper n’était pas très content non plus.

        Je m’occuperais des autres plus tard. Je n’avais pas beaucoup de temps à passer avec Bella, et je n’allais pas le gâcher. Et entendre Alice me rappela que j’avais quelques affaires à régler.

        - J’ai une autre question, dis-je, éteignant les pensées hystériques de Rosalie.
        - Mince, dit Bella en souriant.

        - Tu dois vraiment aller à Seattle ce samedi ou est-ce que c’est juste une excuse pour repousser tes admirateurs ?
     
    Elle me fit une grimace.
       
    - Tu sais, je ne t’ai toujours pas pardonné pour le truc avec Tyler. C’est ta faute s'il se fait des illusions en se persuadant qu’il va m’emmener au bal de fin d’année.
        - Oh, il aurait bien trouvé un moyen de te demander sans que je ne l’aide – je voulais juste voir ta tête.

        Je riais à présent, me souvenant son expression effarée. Rien de ce que je lui avais raconté sur mon histoire sombre ne l’avait jamais fait paraître si horrifiée. La vérité ne l’effrayait pas. Elle voulait être avec moi. Stupéfiant.

        -
    Si je t’avais demandé, tu m’aurais repoussé ?
     
    - Probablement pas,
    dit-elle. Mais j’aurais annulé plus tard – feignant une maladie ou une entorse à la cheville.
     
    Bizarre.
        - Pourquoi ferais-tu ça ?
     
    Elle secoua la tête, comme si elle était déçue que je n'aie pas saisi du premier coup.
        - Tu ne m’as jamais vue en gym, j’imagine, mais je pensais que tu aurais compris.
     
    Ah.
      
      - Est-ce que tu fais référence au fait que tu ne peux pas traverser une surface plate et stable sans trouver un moyen de trébucher sur quelque chose ?

        - Evidemment.
        - Ça ne sera pas un problème. Tout est dans le cavalier.

     
    Pendant une brève fraction de seconde, je fus envahi par l’idée de la tenir dans mes bras pour une danse – où elle porterait sûrement quelque chose de joli et délicat plutôt que ce sweater hideux.
        Avec une clarté parfaite, je me souvins de la sensation de son corps sous le mien après que j’ai écarté le van de son chemin. Plus fort que la panique, le désespoir ou la contrariété, je pouvais très bien me souvenir de cette sensation. Elle avait été si chaude et si douce, son corps épousant si bien la forme de mes bras de pierre…
        Je m’arrachai à ce souvenir.

        - Mais tu ne m’as répondu, dis-je rapidement, l'empêchant de se disputer avec moi sur sa maladresse, comme elle semblait prête à le faire. Es-tu résolue à aller à Seattle ou est-ce que ça t'irait que nous fassions quelque chose de différent ?
        Sournois – lui laisser le choix sans lui donner l’opportunité de se débarrasser de moi ce jour-là. C’était injuste de ma part. Mais je lui avais fait une promesse la nuit dernière... Et j’aimais assez l’idée de la remplir – presque autant que cette idée me terrifiait.

        Le soleil brillerait samedi. Je pourrais lui montrer le vrai moi, si j’étais assez fort pour supporter son horreur et son dégoût. Je connaissais l’endroit parfait pour prendre un tel risque...
     
    - Je suis ouverte à toutes les options, dit Bella. Mais j’ai une faveur à te demander.
        Un oui nuancé. Qu’attendait-elle de moi ?

       
    - Quoi ?

        - Est-ce que je peux conduire ?
     
    Était-ce une blague ?
        - Pourquoi ?
     
    - Eh bien, surtout parce que quand j’ai dit à Charlie que j’allais à Seattle, il m’a spécifiquement demandé si j’y allais seule, et à ce moment-là, c’était le cas. S'il me redemande, je ne lui mentirai probablement pas, mais je ne pense pas qu’il le fera, et laisser ma camionnette à la maison ramènerait le sujet inutilement. Et en plus, ta façon de conduire m’effraie.

        Je levai les yeux au ciel.
        -  Parmi toutes les choses qui pourraient t’effrayer, tu te préoccupes seulement de ma conduite.
        Vraiment, son cerveau fonctionnait à l’envers. Je secouai la tête, dégoûté.
        Edward, appela Alice avec urgence.

        Soudain je vis à un halo de lumière, coincé dans une des visions d’Alice.
        Il s’agissait d’un endroit que je connaissais bien, l’endroit où je comptais emmener Bella – une petite clairière où personne n’allait jamais à part moi-même. Un jolie petit endroit au calme ou je pouvais compter me retrouver seul – assez loin des sentiers ou des habitations humaines, là où même mon esprit pouvait trouver paix et silence.

        Alice la reconnut elle aussi, parce qu’elle m’y avait vu peu de temps auparavant dans une autre de ses visions – une des visions indistinctes et vacillantes qu’elle m’avait montrées le jour où j’avais sauvé Bella du van.
        Dans cette vision vacillante, je n’avais pas été seul. Et maintenant, c’était clair – Bella était là-bas avec moi. Donc j’étais assez courageux. Elle me regarda, un arc-en-ciel dansant sur son visage, les yeux indescriptibles.

        C’est le même endroit, pensa Alice, l’esprit plein d’une horreur qui ne correspondait pas à la vision. De la tension à la limite, mais de l’horreur ? Que voulait-elle dire, le même endroit ?
        Puis je la vis.
        Edward ! protesta Alice avec virulence. Je l’aime, Edward !
     
    J’éteignis brutalement sa voix mentale.
     
    Elle n’aimait pas Bella comme moi je l’aimais. Sa vision était impossible. Fausse. Elle était aveuglée par quelque chose, voyant l’impossible.
        À peine une demi-seconde s’était écoulée. Bella avait l’air curieuse, attendant que j’approuve sa requête. Avait-elle remarqué le flash d'appréhension ou avait-il été trop rapide pour elle ?
        Je me concentrai sur elle, sur notre conversation inachevée, repoussant Alice et ses mauvaises visions loin de mes pensées. Elles ne méritaient pas mon attention.
        Je n’étais pas capable de garder un ton joueur, toutefois.
        - Ne veux-tu pas dire à ton père que tu passeras la journée avec moi ? demandai-je, les ténèbres envahissant ma voix.
        Je repoussai les visions une nouvelle fois, essayant de les éloigner au maximum, les empêcher de clignoter dans ma tête.
        - Charlie, moins il en sait, mieux il se porte dit Bella, sûre de cette déclaration. Où va-t-on de toute façon ?
     
    Alice avait tort. Complètement tort. Il n’y avait aucune chance que cela se produise. C’était juste une vieille vision, invalide à présent. Les choses avaient changé.
        - Il fera beau, dis-je doucement, luttant contre ma panique et mon indécision.
        Alice avait tort. J’allais continuer comme si je n’avais rien vu, rien entendu.
        - Donc, je ne peux pas être vu en public... et tu peux rester avec moi si tu veux.
     
    Bella comprit tout de suite ce que cela impliquait ; ses yeux étaient brillants et enthousiastes.
        - Et tu me montreras ce que tu m’as expliqué, à propos du soleil ?
     
    Peut-être, comme bien des fois auparavant, que réactions seraient-elles à l’opposé de ce que j'attendais. Je souris devant cette possibilité, luttant pour retourner à ce moment léger.
        - Oui. Mais... (Elle n’avait pas dit oui.) Si tu ne veux pas être... seule avec moi, je préférerais encore que tu n’ailles pas toute seule à Seattle. Je tremble en pensant aux problèmes que tu pourrais rencontrer dans une ville de cette taille.
        Ses lèvres se pressèrent l’une contre l’autre ; elle était vexée.

       
    - Phoenix fait trois fois la taille de Seattle – juste par sa population. En terme géographique…
        - Mais apparemment, ton compte n’était pas encore bon à Phoenix,
    dis-je coupant ses justifications. Donc, je préférerais que tu restes avec moi.
     
    Même si elle restait pour l'éternité, ce ne serait jamais assez long.

        Je ne devais pas penser ainsi. Nous n’avions pas tout ce temps. Chaque seconde qui passait comptait plus que jamais ; chaque seconde la changeait alors que je restais le même.
        - Il se trouve que ça ne me dérange pas d’être seule avec toi, dit-elle.

        Non – parce que ces instincts étaient complètement inversés.
     
    - Je sais, soupirai-je. Mais tu devrais quand même le dire à Charlie.
     
    - Mais pourquoi diable ferais-je ça ? demanda-t-elle, l’air horrifiée.

        Je la fixai, les visions que je ne pouvais plus vraiment réprimer tourbillonnant dans ma tête.
     
    - Pour m’inciter à te ramener, sifflai-je.
        Elle pourrait au moins faire ça – m'offrir un témoin pour me pousser à être prudent. Pourquoi Alice m’avait-elle forcé à prendre en compte cette information ?

        Bella déglutit bruyamment, puis me fixa durant un long moment. Que voyait-elle ?
     
    - Je pense que je vais prendre le risque, dit-elle.
        Hou ! Est-ce qu’elle trouvait du plaisir à mettre sa vie en danger ? Sous le besoin d'une poussée d'adrénaline ?
     
    Je regardai Alice d’un air renfrogné, elle rencontra mon regard, l’air alertée. À côté d’elle, Rosalie fulminait, mais je m’en moquais. Qu’elle détruise ma voiture. Ce n’était qu’un jouet.
     
    - Parlons de quelque chose d’autre, suggéra soudainement Bella.
        Je la regardai de nouveau, me demandant comment elle pouvait être si inconsciente de ce qui avait vraiment de l’importance. Pourquoi ne me voyait-elle pas pour le monstre que j’étais ?

        - De quoi veux-tu parler ?
     
    Ses yeux balayèrent rapidement les alentours du regard, comme si elle vérifiait que personne ne nous écoutait. Elle devait prévoir de me présenter un autre sujet relatif à la mythologie. Ses yeux se glacèrent durant une seconde et son corps se raidit, puis elle me regarda de nouveau.
        - Pourquoi êtes-vous allés à Goat Rocks le week-end dernier... Pour chasser ? Charlie dit que ce n’est pas un bon endroit pour faire de la randonné, à cause des ours.
        Tellement inconsciente. Je la fixai, levant un sourcil.

        - Des ours ? haleta-t-elle.
        Je souris sèchement, la regardant digérer l’information. Allait-elle me prendre au sérieux à présent ? Quelque chose la ferait-elle jamais me prendre au sérieux ?
        Elle se reprit.
        - Tu sais, ce n’est pas la saison des ours, dit-elle sévèrement, plissant les yeux.

        - Si tu lis attentivement les textes, la loi n'interdit que la chasse armée.
     
    Elle ne parvint pas à contrôler ses expressions durant un moment. Sa mâchoire se décrocha.
        - Des ours ? dit-elle de nouveau ; c’était une plus une tentative de question qu’une affirmation cette fois.

        - C’est ce qu’Emmett préfère.
     
    Je regardai ses yeux, et la vis essayer d'assimiler cette découverte.

        - Hmm, murmura-t-elle.
        Elle prit un bout de pizza en regardant vers le bas. Elle mâcha pensivement, puis but un peu.

        - Donc, dit-elle finalement en levant les yeux. C’est quoi ton préféré ?
     
    J’aurais dû m’attendre à quelque chose dans le genre, mais ce n’était pas le cas. Du moins, Bella était toujours intéressante.

        - Le puma, répondis-je brusquement.

        - Ah, dit-elle d’un ton neutre.
        Son rythme cardiaque restait calme et égal, comme si nous parlions de notre restaurant préféré. Très bien, dans ce cas. Si elle voulait se comporter comme si tout cela était naturel…
        - Bien sûr, nous devons faire attention à notre impact sur l’environnement en chassant judicieusement, lui dis-je, la voix froide et détachée. Nous essayons de nous concentrer sur des zones surpeuplées par les prédateurs – même si nous devons parfois aller très loin. Il y a toujours beaucoup de cerfs et d’élans, cela suffirait, mais où serait le plaisir ?
     
    Elle écoutait avec un intérêt poli, comme si j’étais un professeur lui faisant la leçon. Je fus obligé de sourire.
     
    - Où, en effet, murmura-t-elle calmement en prenant une autre bouchée de pizza.

        - Le début du printemps est le moment qu’Emmett préfère pour chasser les ours, dis-je, continuant ma leçon. Ils sortent tout juste de leur hibernation, ils sont tellement irritables.
     
    Soixante-dix années avaient passé, et il ne se résignait toujours pas à manquer cette première rencontre.
        - Rien de tel qu’un grizzly furieux, acquiesça Bella en dodelinant solennellement de la tête.

        Je ne pus réfréner un gloussement en secouant ma tête devant son calme illogique. Je devais le dire.
        - Dis-moi vraiment ce que tu penses, s’il te plaît.
     
    - J’essaie de l’imaginer, mais je n’y arrive pas, dit elle, la ride apparaissant entre ses yeux. Comment chassez-vous, sans armes ?
     
    - Oh, nous avons des armes, lui dis-je en lui faisant un large sourire.
        Je m'attendais à ce qu’elle recule, mais elle était toujours immobile, à me regarder.
        - Simplement ce ne sont pas celles qui sont prises en compte dans les textes de lois sur la chasse. Si tu as déjà vu une attaque d’ours à la télévision, tu devrais avoir une assez bonne idée de ce à quoi ressemble Emmett quand il chasse.
     
    Elle jeta un coup d’œil vers la table à laquelle les autres étaient assis, et frissonna. Enfin. Puis, je ris pour moi-même, car je savais que quelque part, son inconscience me manquerait.
        Ses grands yeux sombres et profonds me fixaient à présent.
        - Toi aussi, tu ressembles à un ours ? dit-elle dans un demi-murmure.

        - Non, plus à un puma, du moins c’est ce que les autres disent, lui dis-je, m'efforçant de paraître détaché de nouveau. Peut-être que nos préférences son révélatrices.
     
    Les coins de ses lèvres se soulevèrent.
        - Peut-être, répéta-t-elle.
        Puis sa tête se pencha sur le côté, et la curiosité sembla briller dans ses yeux.
        - Est-ce une chose à laquelle je pourrais assister un jour ?
     
    Je n’avais pas besoin d’images d’Alice pour m’illustrer l’horreur – mon imagination suffisait amplement.
        - Certainement pas, grognai-je.

        Elle tressaillit en se détournant, les yeux déconcertés et effrayés.

        Je me reculai sur ma chaise, moi aussi, essayant de mettre un maximum d’espace entre nous. Elle ne comprendrait jamais, n’est ce pas ?  Elle n’allait rien faire pour m’aider à la garder en vie.
     
    - Trop effrayant pour moi ? demanda-t-elle, la voix calme de nouveau. Son cœur, par contre, battait toujours la chamade.
        - Si ce n’était que ça, je t'emmènerais dès ce soir, rétorquais-je à travers les dents. Tu as besoin d’une bonne dose de peur. Rien ne pourrait t’être plus bénéfique.
        - Alors quoi ? demanda-t-elle sans se laisser démonter.
        Je la regardai furieusement, les yeux vides, attendant qu’elle prenne peur. Mais c’était moi qui avais peur. Je ne pouvais que trop bien imaginer Bella proche de moi alors que je chassais...

        Ses yeux se firent curieux, impatients, rien de plus. Elle attendait une réponse, elle ne lâcherait pas.
        Mais il était l’heure d’aller en cours.

        - Plus tard, dis-je sautant sur mes pieds. Nous allons être en retard.
     
    Elle regarda autour d’elle, désorientée, comme si elle avait oubliée que nous étions en plein déjeuner. Comme si elle avait même oublié que nous étions au lycée – surprise que nous ne soyons pas seuls dans quelque endroit privé. Je comprenais parfaitement ce sentiment. Il était dur de me souvenir du reste du monde lorsque j’étais avec elle.
     se leva rapidement, vacilla un peu et jeta son sac sur ses épaules.
        - Plus tard alors, dit-elle, et je pus voir sa détermination ; elle allait me retenir là-dessus.


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