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Par Felynea le 26 Avril 2009 à 22:30
Le téléphone vibra de nouveau dans ma poche. C’était la vingt-cinquième fois en vingt-quatre heures. Je pensai à ouvrir le téléphone, au moins pour voir qui essayait de me contacter. Peut-être était-ce important. Peut-être Carlisle avait-il besoin de moi.
J’y pensai, mais je ne bougeai pas.
Je ne savais pas exactement où j’étais. Un quelconque grenier sombre et minuscule, pleins de rats et d’araignées. Les araignées m’ignoraient, et les rats m’offraient une large couchette. L’air était chargé de fortes odeurs d’huile de cuisine, de viande rance, de sueur humaine et de couches presque solides de pollution qui était visible dans cet air humide, comme un film plastique posé sur quelque chose. Sous moi, quatre étages d’un immeuble de ghetto branlant, grouillant de vie. Je ne cherchais plus à séparer les pensées des voix - elles constituaient une grande et bruyante clameur espagnole que je n’écoutais pas. Je laissais simplement le son me bercer. Dénué de sens. Tout cela était dénué de sens. Ma propre existence était dénuée de sens.
Le monde entier était dénué de sens.
Mon front posé sur mes genoux, je me demandai combien de temps encore je pourrais rester ainsi. Peut-être n’y avait-il aucun espoir. Peut-être, si mon essai était voué à l’échec, devrais-je simplement arrêter de me torturer et revenir...
Cette idée était si puissante, tellement salutaire - comme si les mots contenaient une sorte d'anesthésique puissant, lavant les montagnes de douleur que j’avais enterrées - que cela me faisait haleter, au bord du vertige.
Je pouvais partir maintenant, je pouvais retourner là-bas.
Le visage de Bella, toujours derrières mes paupières, me sourit.
C’était un sourire de bienvenue, de pardon, mais cela n’eut pas sur ma conscience l’effet que j’attendais.
Bien sûr que je ne pouvais pas rentrer. Qu’était ma douleur, après tout, en comparaison de son bonheur ? Elle devait être capable de sourire, libre de toute peur, de tout danger. Libre de la convoitise d’un futur sans âme. Elle méritait mieux que ça. Elle méritait mieux que moi. Quand elle quitterait ce monde, elle irait dans un endroit qui me serait à jamais verrouillé, peu importe comment je me conduirais ici.
L’idée de cette séparation finale était tellement plus intense que la douleur que je la ressentais déjà. Mon corps en frémit. Quand Bella irait dans cette endroit auquel elle appartenait, auquel je n’appartiendrais jamais, je ne m’attarderais pas ici. Cela faciliterait l’oubli. Cela faciliterait le soulagement.
Là était mon espoir, mais sans garanties. To sleep perchance to dream. Ay, there's the rub, me récitai-je. "Dormir pour pouvoir rêver. Aïe, voilà le hic." Même quand je serais poussière, sentirai-je encore la torture de l’avoir perdue ?
Je frissonnai de nouveau.
Et puis mince, j’avais promis. Je lui avais promis que je ne hanterais plus sa vie, en ramenant mes démons noirs. Je ne reviendrais pas sur mes mots. Ne pouvais-je donc rien faire de bien pour elle ? Rien du tout ?
L’idée de mon retour dans cette petite ville nuageuse qui serait toujours ma véritable maison sur cette planète serpenta dans mes pensées une fois de plus.
Juste pour vérifier. Juste pour voir qu’elle allait bien, qu’elle était hors de danger, et heureuse. Pas pour interférer. Elle ne saurait jamais que j’étais là...
Non. Mince, non.
Le téléphone vibra de nouveau.
- Merde, merde, merde, grognai-je.
J’imaginai que je pourrais profiter de la distraction. J’ouvris le téléphone et vérifiai le numéro, recevant mon premier choc en six mois.
Pourquoi Rosalie m’appellerait-elle ? Elle devait être la seule personne à apprécier mon absence.
Il devait sûrement y avoir quelque chose qui allait mal pour qu’elle ait besoin de me parler. M’inquiétant soudain pour ma famille, j’appuyai sur le bouton de rappel.
- Quoi ? demandai-je tendu.
- Oh, wow. Edward répond au téléphone. Je me sens tellement honorée.
Dès que j’entendis son ton, je sus que la famille allait bien. Elle devait juste s’ennuyer. Il était difficile de deviner sa motivation sans ses pensées pour me guider. Je n’avais jamais vraiment compris Rosalie. Ses pulsions étaient souvent fondées sur un sens logique très alambiqué.
Je fermai le téléphone pour l’éteindre.
- Laisse-moi tranquille, murmurai-je dans le vide.
Evidemment, le téléphone sonna de nouveau.
Continuerait-elle d’appeler jusqu’à ce qu’elle me transmettre un quelconque message avec lequel elle comptait m'embêter ? Probablement. Il faudrait des mois pour qu’elle commence à s’ennuyer de ce petit jeu. Je m’amusai à l’idée de la laisser appuyer sur le rappel automatique pour les six prochains mois... puis je soupirai et répondis au téléphone une nouvelle fois.
- Lâche le morceau.
Rosalie expédia les mots.
- Je pensais qu’il t'intéresserait de savoir qu’Alice est à Forks.
Mes yeux s’ouvrirent et je fixai les poutres pourries à huit centimètres de mon visage.
- Quoi ?
Ma voix était plate, sans émotion.
- Tu sais comment est Alice - elle croit qu’elle sait tout. Comme toi.
Rosalie gloussa. Sa voix avait un ton nerveux, comme si soudainement, elle ne savait plus ce qu’elle faisait.
Mais ma rage m'empêchait de me soucier de son problème.
Alice m’avait juré qu’elle suivrait mon exemple en ce qui concernait Bella, même si elle n’approuvait pas ma décision. Elle avait promis de laisser Bella tranquille... tant que je ferais de même. Clairement, elle avait pensé que je plierais sous le poids de la douleur. Peut-être avait-elle raison là-dessus.
Mais je n’avais pas plié. Pas encore. Donc, que faisait-elle à Forks? Je voulais lui tordre son petit cou fluet. Non pas que Jasper me laisserait faire, une fois qu’il aurait ressenti la bouffée de furie me consumant...
- Tu es toujours là, Edward ?
Je ne répondis pas. Je me pinçai l'arête du nez, me demandant s'il était possible pour un vampire d’attraper une migraine.
D’un autre côté, si Alice y était déjà...
Non. Non. Non. Non.
J’avais fait une promesse. Bella méritait d’avoir une vie. J’avais faire une promesse. Bella méritait d’avoir une vie.
Je répétais ces mots comme un mantra, essayant de vider ma tête des images séduisantes de la sombre fenêtre de Bella. La porte d’entrée de mon unique sanctuaire. Pas de doute, je devrais ramper à mon retour. Mais je m’en moquais. Je pourrais passer la prochaine décennie à genoux si c’était pour elle, avec joie même.
Non. Non. Non.
- Edward ? Le fait qu’Alice soit là-bas ne t’inquiète pas ?
- Pas particulièrement.
La voix de Rosalie, prit une légère teinte de suffisance, enchantée, sans aucun doute, de m’avoir fait parler.
- Bien sûr, elle n’enfreint pas exactement les règles. Je veux dire, tu lui as seulement dit de rester loin de Bella n’est-ce pas ? Le reste de Forks ne compte pas.
Je clignai des yeux doucement. Bella était partie ? Mes pensées tournèrent autour de cette idée inattendue. Elle n’avait pas encore passé son bac, donc elle avait dû retourner chez sa mère. Une bonne chose. Elle vivrait au soleil. Une bonne chose qu’elle soit capable de laisser l’ombre derrière elle.
J’essayai de déglutir, je n'y arrivai pas.
Rosalie tressaillit, d’un rire nerveux.
- Donc, tu n’as pas à être énervé après Alice.
- Alors pourquoi as-tu appelé, Rosalie, si ce n’est pas pour chercher des ennuis à Alice ? Pourquoi m’embêtes-tu, hein ?
- Attends ! dit-elle, sentant, à juste titre, que j’étais capable de raccrocher une nouvelle fois. Ce n’est pas pour ça que j’appelais.
- Alors pourquoi ? Dis-le-moi rapidement, et laisse-moi tranquille.
- Eh bien... hésita-t-elle.
- Crache le morceau, Rosalie. Tu as dix secondes.
- Je pense que tu devrais rentrer à la maison, dit-elle hâtivement. J’en ai marre qu’Esmée soit en deuil et que Carlisle ait cessé de rire. Tu devrais avoir honte de ce que tu leur as fait. Tu manques à Emmett en permanence, et ça m'énerve. Tu as une famille. Grandis et pense à autre chose qu’à toi-même.
- Conseil intéressant, Rosalie. Laisse-moi te raconter une petite histoire sur un hôpital qui se moquait de la charité...
- Moi, je pense à eux, contrairement à toi. Tu te fiches même de savoir combien tu as blessé Esmée ? Elle t’aime plus que nous tous, et tu le sais bien. Reviens à la maison.
Je ne répondis pas.
- Je pensais qu’une fois que toute cette histoire à Forks serait finie, tu t’en remettrais.
- Forks n’a jamais été le problème, Rosalie, dis-je essayant d’être patient.
Ce qu’elle avait dit sur Esmée et Carlisle avait touché ma corde sensible.
- Ce n’est pas parce que Bella - il m’était difficile de dire son nom à voix haute - a déménagé en Floride que cela veut dire que je suis capable... Ecoute, Rosalie. Je suis vraiment désolé, mais crois-moi, personne ne sera plus heureux si je suis là-bas.
- Hmm...
Et voilà, cette hésitation nerveuse une nouvelle fois.
- Qu’est ce que tu ne me dis pas, Rosalie ? Est ce qu'Esmée va bien ? Est ce que Carlisle -
- Ils vont bien. C’est juste... eh bien, je n’ai pas dit que Bella avait déménagé.
Je ne parlai pas. Je déroulai notre conversation dans ma tête. Si, Rosalie avait bien dit que Bella avait déménagé. Elle avait dit : "tu nous as seulement demandé de rester loin de Bella n’est pas ? Le reste de Forks ne compte pas." Puis : "Je pensais qu’une fois que cette histoire à Forks serait finie..." Donc Bella n’était pas à Forks. Que voulait-elle dire, Bella n’avait pas déménagé ?
Puis Rosalie expédia ses mots une nouvelle fois, les prononçant avec colère cette fois.
- Ils ne voulaient pas que je te le dise, mais je pense que c’est stupide. Plus vite tu t’en remettras, plus vite les choses reviendront à la normale. Pourquoi te laisser te morfondre dans les coins sombres du monde quand ça ne sert plus à rien ? Tu peux revenir à la maison maintenant. Nous pouvons de nouveau être une famille. C’est fini.
Mon esprit semblait bloqué. Je n’arrivais pas à déchiffrer ses paroles. C’est comme si il y avait quelque chose de particulièrement évident qu’elle était en train de me dire, mais je ne savais pas du tout ce dont il s’agissait. Mon cerveau jouait avec l’information, créant des formes bizarres. Sans aucun sens.
- Edward ?
- Je ne comprends pas ce que tu es en train de dire, Rosalie.
Une longue pause, longue de quelques battements de cœur humain.
- Elle est morte, Edward.
Une pause encore plus longue.
- Je suis... désolée. Pourtant, tu as le droit de savoir, je pense. Bella... s‘est jetée du haut d’une falaise il y a deux jours. Alice l’a vue, mais il était trop tard pour faire quoi que ce soit. Je pense qu’elle aurait aidé, brisé sa promesse, si il y avait eu assez de temps. Elle est retournée là-bas pour faire ce qu’elle pouvait pour Charlie. Tu sais qu’elle l’a toujours beaucoup aimé -
Le téléphone se coupa. Il me fallut quelques secondes pour réaliser que j’avais pressé le bouton pour l’éteindre.
Je m'assis dans l’ombre poussiéreuse pendant un long moment, le temps se figea. Comme s'il s’était arrêté. Comme si l’univers s’était arrêté.
Doucement, me mouvant comme un vieillard, je rallumai mon téléphone, et composai le numéro que je m’étais promis de ne jamais rappeler.
Si elle était là, je raccrocherais. Si c’était Charlie, j’obtiendrais l'information dont j’avais besoin grâce à un subterfuge. Je prouverais à Rosalie que sa petite blague malsaine n’avait pas fonctionné, puis je retournerais à mon vide.
- Résidence Swan, répondit une voix que je n’avais jamais entendue.
La voix d’homme était rauque, profonde, mais toutefois jeune.
Je ne fis aucune pause pour penser à ce que cela impliquait.
- C’est le Dr. Carlisle Cullen, dis-je, imitant parfaitement la voix de mon père. Puis-je parler à Charlie ?
- Il n’est pas là, répondit la voix, et je fus faiblement surpris par la colère qu’elle contenait. Les mots avaient presque été aboyés. Mais ça n’avait pas d’importance.
- Et où se trouve-t-il ? demandai-je, impatient.
Il y eut une courte pause, comme si l’étranger refusait de me donner l’information.
- Il est à l’enterrement, lâcha le garçon.
J'éteignis le téléphone.
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